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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 14:06

Notre fils, Hervé, était plongé dans un coma végétatif chronique irréversible depuis 8 ans ½  suite à une tentative de suicide par pendaison. Il avait vingt ans, et faisait alors son service militaire. Mon mari était officier à la brigade de sapeurs pompiers de paris et nous vivions en caserne au moment ou ce drame s’est déroulé. Il a pratiqué les premiers gestes de secours tout de suite, aidé par nos amis pompiers et le service médical présent sur place. Ils ont tout fait pour sauver notre fils, le fils d’un des leurs. Nous pensions tous qu’il était sauvé, hélas, seul son corps était revenu à la vie.

Au début, tout a été mis en place dans l’urgence pour le sortir d’affaire, mais quelques semaines après son arrivée en réanimation, le diagnostique est tombé, terrifiant et sans appel. Les IRM révélaient des lésions cérébrales irréversibles, les médecins, pour nous signifier la chose, parlaient de cerveau « ratatiné ». Après une terrible crise de convulsions, le corps médical nous convoquait pour nous conseiller de prendre nos dispositions pour le décès de notre enfant. Parallèlement ils ont été le chercher à la frontière de la mort, le laissant là, au bord du chemin de la vie. Il n’était plus vraiment vivant, et pas vraiment mort.

Il a été par la suite transféré à saumur ou nous retirions pour notre retraite. Notre fils n’avait jamais fait de mal à personne à part à lui-même, et il venait d’être condamné à la double peine : celle de ne pouvoir plus vivre et celle de ne pas être autorisé à mourir.

Complètement paralysé, il était trachéotomisé et nourri par sonde gastrique. Ses seules manifestations de vie étaient de très violentes expectorations dont nous retrouvions les sécrétions sur le mur en face de lui, et au plafond. Elles entrainaient régulièrement des régurgitations, et il était en isolement car, son organisme produisait des bactéries multi-résistantes. Au bout de quelques années, les médecins ont tenté de supprimer la trachéotomie mais sans succès, car Hervé salivait trop, il avait du mal à déglutir sa propre salive, et faisait des fausses routes quasi permanentes, s’étouffant dans ses propres glaires. Une tentative d’exploration pour tenter de comprendre ses vomissements a été entreprise sans succès, le cale dents utilisé étant resté bloqué dix minutes dans ses mâchoires. Tout a été définitivement annulé.

Les années s’écoulaient, son calvaire perdurait. Entièrement immobile depuis le début, son corps se figeait dans la rigidité avec les années. Il ne pouvait pas être déplacé et adoptait des positions viciées. Son squelette devenait une petite virgule en position fœtale, avec de très importantes déformations. Lorsque son corps se contractait, tout rouge, secoué par des toux atroces, il basculait à droite ou à gauche. Des fois, je trouvais sa pauvre tête qu’il ne tenait pas sur la barre du lit que nous avions mon mari et moi entourée de mousse. Pour éviter ce désagrément, des attelles ont été confectionnées à deux reprises pour maintenir ses jambes, sans succès. Il avait même développé une profonde plaie atone (4ième degré de l’escarre), de 8cm de long sur 2 de large et de 1,5 de profondeur. Je passe sur indurations causant des plaies par le collier de la canule, je passe sur les petites plaies causées par le simple contact des draps qui devenaient corrosifs.

Nous demandions depuis des années que l’on ne pratique pas d’acharnement thérapeutique. Nous nous sentions impuissants devant le calvaire de notre fils. J’allais le voir tous les jours, tous les jours je lui parlais, le massais et le caressais. Notre vraie communion était celle de l’esprit, front contre front, ou ma main glissée dans la sienne en forçant avec tendresse ses doigts rigides et repliés. Je rassurais son âme en disant que ce corps n’avait plus d’importance, qu’il était juste comme un vieux vêtement.

Que fait-on de la dimension spirituelle dans les cas de coma végétatif ? Quelles turbulences l’âme de mon fils a-t-elle dû traverser ? Je suis convaincue, depuis mon adolescence, de la survivance de l’âme. J’ai beaucoup lu Elisabeth Kübler Ross, et plus récemment, J. Jacques Charbonier. Ma croyance, ma foi, je l’ai trouvée au fond de moi, je l’ai méritée, elle n’a rien à voir avec ma religion catholique imposée par tradition familiale et dont je me démarque complètement.

Les visites hebdomadaires de mon mari à notre enfant, étaient très douloureuses pour lui mais il parvenait avec amour, à lui donner les résultats de foot, de tennis et de basket.

Lorsque la loi Léonetti a vu le jour, nous demandions son application au cas de notre fils et demandions, qu’il soit enfin libéré de la prison de son corps. Cela a été un véritable cheminement d’amour et d’abnégation pour nous et nos deux adorables filles, Christelle et Virginie. Notre requête a reçu un accueil stupéfiant er inattendu. Le corps médical nous a opposé un refus développé en trois axes. Je cite :

-         1 « l’équipe médicale comprend la souffrance de la famille »

-         2 « constate que, vu l’état cérébral du patient, il n’y a pas de souffrance physique »

-         3 « décide de continuer l’alimentation par sonde de gastrotomie, de garder les traitements qui préviennent les convulsions, d’arrêter tout autre traitement, d’arrêter les bilans biologiques »

Ce fût un parcours semé d’embuches et de travestissements de notre requête en demande d’euthanasie. Après seize mois de « bataille », le corps médical s’est exécuté sous la pression des plus hautes instances politiques et médicales. Un climat conflictuel régnait entre les médecins de l’équipe et entre les médecins et le directeur de l’hôpital.

La sonde gastrique a été retirée conformément à la loi et l’ultime et sordide compte à rebours a commencé. Nos filles nous avaient rejoint pour cette douloureuse épreuve. L’agonie de notre enfant fût cruellement surréaliste. Il est mort en six jours, sans sédation et sans aucun médicament. Le docteur Aubry nous avait dit qu’Hervé mourrait en 10 à 14 jours sans sédation pour ne pas prolonger son agonie mais, qu’il sombrerait vite dans le coma, c'est-à-dire qu’il fermerait les yeux au bout de 2 jours et qu’il partirait en paix. Mais que signifie le coma quand on est déjà dans le coma ? Pendant 6 jours et 6 nuits, notre enfant n’a pas fermé les yeux, et à son décès, l’équipe soignante a fait appel à la force du seul infirmier présent dans l’équipe pour parvenir à baisser ses paupières tant ses yeux étaient enfoncés dans leurs orbites. Rien ne se passait comme prévu, et ce décalage amplifiait notre terreur. Notre enfant ne pouvait pas souffrir nous a-t-on certifié, il ne ressent pas la douleur. Le corps de notre fils était saisi de convulsions qui se transformaient en véritables bonds dans son lit, comme si il était électrocuté. La médecine appelle cela des troubles hydro électrolytiques. Il était brûlant et cyanosé. Nous étions dans un état indescriptible. Alors tout les quatre, enlacés et penchés sur lui, nous lui avons promis de nous battre pour qu’une telle ignominie ne se reproduise plus, plus jamais. La situation échappait à tous les protagonistes, à nous famille qui survivions dans une autre dimension, celle de l’horreur, au personnel soignant choqué, dépassé, aux médecins qui ont fermé la porte.

Pourquoi toute cette souffrance ? Parce que la marge entre l’illicite, c'est-à-dire « aider à mourir », et le licite, c'est-à-dire « laisser mourir », est si ténue, que les médecins, par peur des poursuites judiciaires ont fait durer l’agonie de notre enfant.

Un an après le décès d’Hervé, nous décidions avec Maître Gilles Antonowicz de dénoncer au travers d’un livre ce drame. Nous n’avions pas voulu porter plainte car aucune réparation financière n’aurait réparé l’irréparable et nous ne sentions pas prêts à affronter une procédure judiciaire très longue et pénible. Les infirmières et aides-soignantes étaient toutes compétentes, chaleureuses et pleines de compassion. Je n’ai eu à faire qu’à des femmes adorables.

Quelques questions et réflexions récurrentes me taraudent :

-         Pourquoi mourir est-il un droit puisque la mort s’inscrit légitimement dans la vie ? C’est donc devenu un droit à revendiquer. Ce droit à mourir est trop cher et c’est la médecine parce qu’elle est humaine et donc faillible qui a condamné mon fils à cette non vie. Si la volonté de Dieu avait été respectée, mon fils, Vincent Humbert, Eluana Englaro et bien d’autres seraient partis en paix ! Ces personnes n’étaient effectivement pas en fin de vie, elles étaient à la fin de leur vie.

-         Quel est le sens de ce terrifiant « temps du deuil », passage obligé pour avoir le droit de mourir. Le docteur Régis Aubry avait écrit dans son compte rendu, je cite : « c’est le temps du détachement, cette question du détachement physique est un point qui me semble important, en particulier pour Mme Pierra qui est très présente chaque jour auprès de son fils ! » C’est terrible ! On sait à ma place ce qui est bon et salutaire pour moi, mais c’est notre fils et lui seul, qui aurait du être au centre de toutes les préoccupations, de toutes les attentions. D’autre part, c’est mon droit le plus intime de choisir de ne pas faire le deuil de mon enfant ! La douleur que j’éprouve atteste en moi de la vie de mon fils. Quelle cynique autant qu’inattendue bienveillance après 8 ans ½ d’indifférence, sans soutien psychologique, ni avant, ni pendant, ni après.

          C’est le temps de la « maturité psychique », mais, hélas, dans les faits, cela a été le temps de l’horreur. C’est le cas même si les patients en EVC sont sédatés et accompagnés dans le strict respect de la loi. Deux témoignages nous sont parvenus qui attestent de délais de 7 jours et 11 jours cauchemardesques avec au bout une sédation profonde quand les patients ne parviennent pas à mourir.

-         Quel est le sens des « traitements à visée sédative » pour un patient comme notre fils dans le coma végétatif et qui, selon les propos de certains médecins ne peut rien sentir ? C’était même la position de l’équipe médicale en charge d’Hervé.

-         D’où vient cette idée que le commun des mortels n’aurait pas conscience de sa finitude ? Nous en avons tous une idée, mais ce concept, nous l’appelons plus simplement la mort.

-         Quel est ce culte du doute à tout prix, prétendu apanage de la seule société savante qui a au moins l’ironique certitude des vertus du doute ?

-         Quel est ce monde où tuer par compassion est plus grave, et plus répréhensible que de commettre des actes de barbarie finissant par entrainer la mort ?

Nous faisons partie des 86 % de français qui demandent une aide active à mourir, et non un « laisser mourir » et, à qui on dénie la capacité de penser sur un sujet à propos duquel chacun dispose pourtant d’un potentiel de réflexion, et d’expériences personnelles. Nos réflexions ne sont pas de simples réactions épidermiques nées de l’émotion liées à des images chocs, ou à des témoignages médiatisés. Nous pouvons faire preuve de bon sens, d’ailleurs, nos gouvernants font parfois référence au « bon sens populaire », quand cela les arrange.

« Pour venir au monde, nous avons besoin d’une sage-femme et, pour en partir, nous avons besoin d’un homme sage ! »

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commentaires

T
Dire que je suis outrée, choquée, parce qu'on vous a fait et ce qu'on a fait à votre fils, je ressens une volonté cruelle de ces médecins d'avoir raison, de savoir pour vous. Quant au Dr Delepine<br /> je n'imaginais pas qu'on puisse avoir fait tant d'études et employer des termes comme elle le fait. Elle parle d'animaux, mais tous les gens qui aime les animaux leur évite les souffrances de fin<br /> de vie. Alors ce Dr, voudrait qu'on soit plus cruel avec ceux qu'on aime...Madame, Monsieur, je n'ai pas les mots, mais sachez que j'admire votre courage et celui de vos filles .
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  • : Blog parents d'Hervé Pierra: fin de vie dans la compassion
  • : Ce blog est destiné à faire connaitre notre drame et à recueillir vos commentaires et témoignages personnels sur le délicat sujet de la fin de vie. Notre fils Hervé Pierra est resté plongé dans un coma végétatif chronique irréversible pendant 8 ans 1/2. Il est décédé après l'application de la loi Léonetti en 6 jours cauchemardesques, sans sédation. Nous avons promis à notre enfant de nous "battre" pour qu'une telle horreur n'affecte plus jamais personne.
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