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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 14:38

En 2008, mon mari et moi-même avions témoigné du drame de notre enfant Hervé Pierra. J’ai raconté les conditions dans lesquelles notre fils est demeuré pendant plus de huit années en situation de coma végétatif, j’ai décrit la cruelle dégradation progressive de son état.

En avril 2005, lorsque votre loi a vu le jour, nous avons demandé son application. Celle-ci stipulait que le corps médical devait procéder à l’ablation de la sonde gastrique qui maintenait artificiellement en vie notre fils. Dix huit mois, beaucoup d’embûches, de tentatives de dissuasions et de souffrances plus tard, les médecins de l’hôpital de Saumur, soumis à diverses pressions juridiques, politiques, médicales ont fini par accepter d’appliquer la loi. Hervé a mis six jours à mourir, dans des convulsions insoutenables, sous nos yeux effarés. Le protocole médical ne prévoyait aucune sédation, dans la mesure où il était prétendu qu’Hervé ne pouvait pas souffrir, ce qui, nous le savons aujourd’hui, n’est nullement certain. Deux écrits récents de l’éminent spécialiste en soins palliatifs, le docteur Régis Aubry, dans une revue médicale concernant les états végétatifs chroniques faisaient état que : «… l’utilisation de sédatif n’est pas justifiée… » ; et que : « … nous ne pouvons pas exclure une perception basique de la douleur… ». Je reste perplexe à la lecture de ce paradoxe !

Vous avez eu la gentillesse de nous auditionner, au printemps dernier, dans le cadre de la mission d’enquête parlementaire mise en place pour évaluer votre loi. Vous nous aviez dit : « si Hervé était parti en vingt quatre heures, je suis persuadé que vous ne seriez pas là ». Nous vous avons répondu : « probablement pas ». Que doit-on penser, Monsieur Léonetti, de l’affirmation du docteur Régis Aubry suivant laquelle le décès survient en moyenne entre huit et quinze jours après l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation ? Les médecins auditionnés ont condamné l’attitude de leurs confrères de Saumur. Unanimes, ils ont tous déclaré que l’absence de sédation constituait une faute médicale et qu’en aucun cas votre  loi n’était en cause puisque notre fils n’avait bénéficié d’aucun accompagnement.

Oui, mais voilà, l’histoire semble se répéter : ces derniers mois, nous avons suivi, avec vous, Monsieur le député, pas à pas, le calvaire de la famille de Patrick Koffel, lequel se trouvait en état végétatif pauci relationnel depuis quatre ans et demi à la suite d’un accident de moto. Chantal, son épouse, a elle aussi, demandé au médecin en charge de son mari, le docteur P, d’appliquer la loi du « laisser mourir ». Elle a dû surmonter les mêmes obstacles que nous, et ce n’est qu’au bout de quatorze mois, après votre intervention, que sa requête a fini par être entendue. Comme cela avait été le cas pour Hervé, Patrick Koffel a cessé d’être alimenté artificiellement. Pour éviter les convulsions dont avait été victime notre fils, une sédation « adaptée » a été mise en place sur les conseils du docteur Régis Aubry. Patrick Koffel a mis plus de onze jours à mourir. Ceci prouve une chose : personne ne meurt en vingt quatre heures par manque d’alimentation !

Cette agonie interminable fut un cauchemar pour la famille de Patrick Koffel et peut-être ce temps fut-il également pour lui, celui d’une grande souffrance. Le onzième jour, la situation devenant d’heure en heure plus intolérable, décision fut prise d’augmenter fortement les doses de sédatif. Le docteur Aubry annonça cette décision à Mme Koffel en ces termes :

« Chère Madame Koffel, j'ai eu longuement au téléphone le docteur P hier soir.
La visée de l'accompagnement que vous réalisez depuis 11 jours est une certaine sérénité pour pouvoir faciliter l'investissement dans votre avenir et accepter cette mort comme l’issue naturelle de la vie. Il me semble que grosso modo, jusqu'à ce jour, avec une sédation adaptée, le calme  a facilité cette visée. Aujourd'hui, votre époux présente les signes d'une agonie. Cela peut être une image choquante et entrer en contradiction avec la visée ci-dessus citée, en particulier pour votre jeune fils. Le Dr. P, au terme de notre conversation a décidé d'augmenter les traitements à visée antalgique et sédative dans un double objectif: éviter tout doute d'inconfort pour votre époux et éviter de rajouter de la souffrance à la souffrance des proches ». En d’autres termes, au bout de onze jours, les docteurs Aubry et P ont admis l’idée de pratiquer une sédation « active » dans le but d’accélérer la fin de vie de Monsieur Koffel.                                         

 

Je vous livre ici, Monsieur Léonetti, mes interrogations et mes réflexions :

Vous teniez à ce que la famille Koffel ne médiatise pas son cas pour ne pas perturber la sérénité des débats. Avez-vous cependant porté à la connaissance des trois autres parlementaires participant à votre mission d’évaluation, les éléments d’information que vous possédiez concernant ce cas ? Ne pensez-vous pas, que cela aurait pu alimenter leur réflexion ?

La loi qui porte votre nom constitue une avancée incontestable. En l’état, elle demeure cependant formidablement imprécise. Vous n’avez pas ainsi souhaité préciser ce qu’il convenait d’entendre par « sédation terminale ». Pouvez-vous exclure que cette frontière si ténue entre le licite (laisser mourir une personne après une agonie prolongée, d’une durée de six à douze jours, voire plus) et l’illicite (autoriser un « acte d’endormissement » qui permette la survenue de la mort en quelques heures, comme vous nous l’aviez laissé penser), n’engendre d’autres drames ? Par ailleurs, que penser de l’arbitraire né de la manière dont les médecins interprètent, chacun à leur façon, votre loi ? Un membre de la famille de Patrick Koffel, lors d’une réunion dans votre département, vous a interpellé sur l’agonie tragique de celui-ci ; vous lui avez répondu que Patrick Koffel et son épouse « n’avaient pas eu de chance ». Il y aurait d’une part, les personnes qui « auraient de la chance », en décédant dans les vingt quatre heures suivant l’arrêt de tout traitement et, d’autre part, celles qui « n’auraient pas de chance » et qui souffriraient beaucoup plus longtemps comme en attestent les bouleversants témoignages qui nous parviennent. Il y aurait d’une part, des familles sereines, apaisées, d’autre part, celles qui seraient traumatisées, anéanties. Est-ce juste ?

Vous prônez, Monsieur Léonetti, la culture du doute, mais peut-on douter de tout ? Vous semblez au moins avoir une certitude, celle des vertus du doute. N’est-ce pas pervertir ces vertus que d’empêcher l’instauration d’une loi claire qui encadrerait les pratiques relatives à nos derniers moments de vie ?

Nous faisons partie des 86 % de français qui ne trouvent aucun écho à leur revendication en faveur d’une « aide active à mourir » et non d’un « laisser mourir » pour les personnes en état végétatif chronique irréversible, et celles qui, en phase terminale de maladies incurables, connaissent des souffrances réfractaires. Le « petit peuple », semble n’avoir pas le droit de penser, ou, s’il pense, il pense mal ! Nos réflexions seraient le fruit de simples réactions nées sous le coup de l’émotion, liées à des images chocs (celles de Chantal Sébire) ou à des témoignages chocs (comme celui Marie Humbert ou le notre) relayés par les médias qui ne se soucieraient que de leur audimat. Nous serions manipulés, instrumentalisés…. Non ! Nos réflexions ne sont pas de simples réactions épidermiques, nous aussi sommes capables de jugement, nous aussi savons faire preuve de bon sens. Lorsque cela vous convient, ne faites-vous pas d’ailleurs souvent référence au « bon sens populaire » ? Voudrait-on dénier à 86 % de la population française, la capacité de penser sur un sujet à propos duquel chacun dispose d’une capacité de réflexion et d’expériences tout à fait personnelles ?  Je suis choquée de constater que certains s’arrogent le droit de penser à ma place. Ainsi, le temps de l’agonie peut sans doute être un temps nécessaire pour entamer le processus de deuil, mais, à la condition qu’il ne se transforme pas en un temps d’horreur ! Dans son rapport concernant Hervé, le docteur Aubry écrivait : « si le temps entre une décision d’arrêt des traitements alimentaires et le décès pouvait apparaître très long à priori, il s’avère être un temps important pour l’accompagnement : c’est le temps du détachement ». Le dernier message de Chantal Koffel évoquant l’aspect physique de son mari, au bout de onze jours d’agonie, grisâtre et cyanosé qui parvenait à prendre trois ou quatre inspirations toutes les vingt cinq secondes, me paraît en parfait décalage avec la prétendue sérénité ci-dessus évoquée. Me concernant, le docteur Aubry ajoutait : « Cette question du détachement physique est un point qui me semble important, en particulier pour  Mme Pierra qui est très présente chaque jour auprès de son fils ». Cette phrase m’est insupportable. Comment quelqu’un peut-il penser à ma place que l’agonie de mon fils constituait une étape nécessaire pour que je puisse me détacher de lui, alors que, chaque jour, depuis huit ans et demi, je vivais à ses côtés cette séparation. Cette réflexion m’a dépossédée de ma dignité, de mon propre ressenti, de ma douleur qui atteste encore en moi de la vie de mon enfant adoré. De quel droit ? Qui peut prétendre savoir ce qui était bon pour moi ? Cette prétention née d’une pseudo supériorité intellectuelle ou morale a constitué une violence supplémentaire dont je ne me suis pas encore remise.

 

Pour conclure, M. le député, je dirais que je suis profondément déçue et peinée des conclusions de la mission d’enquête parlementaire. Je pensais que grâce à votre action, la loi autoriserait un meilleur accompagnement de nos derniers jours sur cette terre d’épreuves.

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  • : Blog parents d'Hervé Pierra: fin de vie dans la compassion
  • : Ce blog est destiné à faire connaitre notre drame et à recueillir vos commentaires et témoignages personnels sur le délicat sujet de la fin de vie. Notre fils Hervé Pierra est resté plongé dans un coma végétatif chronique irréversible pendant 8 ans 1/2. Il est décédé après l'application de la loi Léonetti en 6 jours cauchemardesques, sans sédation. Nous avons promis à notre enfant de nous "battre" pour qu'une telle horreur n'affecte plus jamais personne.
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